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  • La mort à Venise ou Chronos et Kairos

    La mort à Venise, ou Chronos et Kairos, c'est l'histoire du temps qui passe, d’abord tranquillement, puis qui file accentuant sa course, inexorablement… On est tenté pour raconter, décrire ce bout de temps, de chercher à le faire coïncider vaille que vaille, a posteriori, avec de mystérieux rendez-vous de la vie, qui auraient formé un destin. Ces séquences maladroitement ordonnées vont justifier, en un semblant de cohérence, une probable épitaphe. Le récit habillera son destinataire comme un mauvais vêtement dont il sera paré à renfort d’accessoires. Kairos serait-il de la lignée de l’orgueil, du sursaut de l’âme qui cherche une paternité à Chronos, surgissant en réalité du néant pour y retourner, après une absurde parenthèse, une course effrénée et irrépressible vers l’abîme ? Chronos, auquel, dans notre indécrottable narcissisme, nous aurions adjoint le lieutenant Kairos pour justifier nos multiples et vains soubresauts, durant la parenthèse assignée qui nous a sortis de rien, pour nous y replonger aussitôt, sans échappatoire ? Quand on regarde le sablier, les yeux fixés sur le grain qui coule, on s’aperçoit qu’il file bien plus vite dans son dernier quart, et, à la fin, les derniers grains de sable s’effondrent très rapidement sur eux-mêmes. La clepsydre semble nous dire que le temps presse, il est compté. Surtout à la fin. Comment ? Par qui ? Tel le marathonien, à bout de souffle, vidé de son énergie, qui va hâter le dénouement de sa course dans un ultime sursaut, pour en finir, vite ! Dans « La mort à Venise », Thomas Mann, évoque cette chute rapide, symbolisée par le pathétique vieillard Aschenbach. La question du temps qui y est traitée m’a plus intéressée que les élucubrations pédophiles dont Visconti a tiré la matière de son film, et qui ont fait la célébrité de l’ouvrage. C’est un traité sur le temps, sur une chute inéluctable, amplifiée par une opportune épidémie de choléra ravageuse, et que rendent plus absurde encore, l’impétueuse jeunesse et beauté d’un adolescent à l’aube de sa course, face à la conscience du crépuscule du narrateur. Le passage des grains de sable est une parfaite métaphore de la vie.

  • Bonne année dans le Meilleur des Mondes !

    Chaque fois que le bout d'an pointe son museau, un peu plus défraîchi par le temps qui passe, c'est la ronde des vœux traditionnels, insipides et convenus. Gavés de dîners lourds et arrosés, plus fatigués que de coutume, le moment n'est pas propice à une réflexion intelligente. Précipitation absurde puisque la bienséance nous offre une session de rattrapage jusqu'au 31 janvier ! Je pose le contexte : Je viens de lire "Le Meilleur des Mondes" d'Aldous Huxley. Je croyais l'avoir déjà lu et même étudié, mais surprise, j'en ai si souvent entendu parlé que j'ai dû m'en dispenser ! Ce n'est pas le premier chef-d'oeuvre dont je zappe le texte intégral, me contentant du résumé. Pépite sur la salade, je découvre goulûment "Le retour au Meilleur des Mondes" comme ces off des films qui révèlent des coulisses sans lesquelles le spectacle serait beaucoup moins complet. Je recommence donc et tente à nouveau mes voeux : (J'avais bien averti que je brouillonnais) Je vous souhaite de ne jamais vivre dans le Meilleur des Mondes, de nourrir des passions débridées sans le secours du "soma"*, mais avec un verre d'excellent vin, de salir vos mains de terre, d'argile ou de peinture, de danser les soirs de lune et les autres aussi, d'écouter la voix éraillée, rocailleuse de Billie Holiday, sans goûter aux fruits étranges, d'aimer à la folie, parce que c'est finalement l'unique façon de le faire, de travailler sans relâche à votre œuvre personnelle et de pouvoir la partager, de rire de tout sans avoir à vous justifier, et de ne pas courber l'échine devant plus con que vous... Bonne année 2024 ! *Soma : sorte de drogue régulatrice de l'humeur distribuée en récompense aux citoyens du Meilleur des Mondes.

  • Loin du tapage, le miroir est sans complaisance

    J’ai en tête ces vieillards au teint buriné assis sur des bancs face à la mer au milieu des filets de pêche, dans les pays du bord de Méditerranée. Ils semblent attendre le retour de quelques fils ou frère parti en mer. Si l’on y regarde mieux, ils ont entre les mains un chapelet qu’ils égrènent lentement et leurs lèvres bougent doucement au gré de leur prière. Ils sont imperturbables. Pourtant autour d’eux, la vie pulse, s’agite et grouille tandis que des bateaux déversent en troupeau leur cargaison de vacanciers dénudés, désœuvrés, désorientés, bruyants. En un singulier miracle, tchotki ou misbaha, frères de foi, un grain à la fois, arrêtent la course de l’été tapageur pour l’alanguir, le remplir de pensées, minuscules, désuètes. En catimini, les petites boules de bois tracent la route du dedans en éclairant le chemin jusqu’à la voie du cœur. Il leur aura sans doute fallu bien de l’entraînement et des années pour atteindre ce retrait malgré des conditions aussi peu propices, quand nous peinons parfois à nous soustraire à notre rumeur interne, dans le luxe d’un confort silencieux ! Quand la vie s’étire, que les heures s’écoulent, une à une, d’un pas lent, au rythme d’un métronome interne, sans se laisser distraire, on peut s’enfoncer dans la forêt profonde du mystère de Soi. Il faut le temps de la maturation pour que le chemin aboutisse, et du vide, pour que le révélateur agisse, pour que l’image puisse renvoyer l’âme nue. C’est un exercice solitaire et exigeant qui demande une bonne préparation au vertige du choc : Le miroir est sans complaisance.

  • VIE

    Dans la ronde des jours et tourbillon des nuits, nos filets relevés patiemment ramendés nous destinent parfois d'étonnantes surprises. Les mêmes fruits nous semblent, tantôt plus doux qu'amers selon que nous mordions de différents côtés. Selon que nous goûtions celui-ci, celui-là, de leurs jolis minois diversement mûris, leurs mille et une saveurs, font osciller en thème notre humeur vagabonde au gré de leurs parfums nous révélant souvent, une part de nous-même. Si encore nous en sommes capables, tout doucement, dans le silence revenu, déjouer le vieux Charon, traverser l’Achéron et revenir doucement parmi les vivants. Découvrir dans l’herbe verte et tendre le frisson d'un voile de brise, l'éclat blanc d’une fleur de fraisier, promesse du fruit rouge, gai comme un nez de clown. Ou la violette minuscule, discrète, délicate, qui pointe son sein, se cache sous la feuille. Se trouver là vivant, étonné, éveillé, tous sens offerts, n’est-ce pas cela que la vie ?

  • Économie frugale ?

    Il semblerait, dans le monde que nous avons fabriqué, que pour prendre part au festin nous devions brandir le plus beau reflet de nous-mêmes en clamant : « je suis le (la) meilleur(e), et je vais vous le prouver ». Une armée de « meilleurs » consacre son énergie à sa propre mise en valeur et à sa justification. Fréquenter cet autre c’est le plus souvent sourire à la caricature, au vernis insolent qu’il porte comme un pesant carcan pour être admis dans le cercle des bienheureux que le système rétribue « à sa juste valeur » : un prix du marché établi en fonction de l’aptitude au bluff et à l’omerta. Dans ce jeu de dupes, les partitions codées sont transmises entre initiés pour des rôles bien rémunérés. Pour les exclus du marché, ceux qui n’ont pas été adoubés à cette tricherie, ou l’ont refusée, foin de vie décente. On ne naît pas forcément pauvre, on peut le devenir… et la pauvreté porte alors un autre nom : « refus ». Vouloir exister hors des lois de ce marché c’est se préparer à la pauvreté. Mouvement alternatif, décroissance, économie frugale, derrière ces mots se cachent bien souvent ceux qui n’ont pas reçu les codes ou ceux qui les ayant possédés ne veulent plus s’en servir. Avancer sans compromis se mérite. Si le bonheur réside dans la joie sans duperie, dans la pure essence de soi, il peut être à ce prix.

  • Petite misère

    Vide sidéral, vestiges de notre civilisation décadente, temples au dieu consommation, palais de l'inutile. Agglomérat de constructions tape-à-l'oeil, clinquantes, absurdes. Laideur déguisée par le détournement de quelque pied de vigne, olivier en souffrance dans son pot, comme des pieds de chinoise. Imitation débile de la nature conçue par un architecte rendu imbécile par le système qui l'a engendré. Temps de soldes, temps de laideur, "petite misère" dit la chanson diffusée par le haut-parleur. La traque rend l'oeil torve et le regard fixe, Vide les portefeuilles et les vies, remplies de riens, de riens soldés. Mais, Heureusement ! Bobin : " Dans la cuisine, des roses minuscules, adorables. Deux sont en grande conversation, appuyées l'une sur l'autre. Quand je quitte l'appartement, je les regarde et j'ai le sentiment de partir en laissant la lumière..." " Belle lumière aujourd'hui, le ciel fait des efforts. "

  • Emoti-côn.e.s épicènes et paresse intellectuelle

    Sait-on encore écrire sans grimacer ? La langue française (et les autres) présente une richesse inouïe d'adjectifs en tout genre, un trésor presque intarissable dans lequel puiser à l'envi afin de choisir le mot qui traduira le mieux l'émotion subtile, le ressenti éphémère, la nuance exacte de sourire, rire, crainte, gêne, tristesse, joie, ennui, irritation, colère, révolte, étonnement, agacement, reconnaissance, amitié, timidité, le degré de sentiment amoureux, et presque exactement le nombre de dents qui grincent ! On peut les polir, en ajuster la taille puisqu'ils possèdent même des degrés d'intensité et de comparaison. Argh !... Des perles aux cochons !... Existe-t-il un spray pour éradiquer les petites faces jaunes qui pullulent sur nos écrans et qui, depuis qu'elles se sont animées, sautent partout en ricanant ?

  • Subtil

    Sub tela, sous la toile. Il faut soulever le voile pour le trouver. Subtil n'est pas montré, pas exposé, ne vit pas dans l'effet. Il préfère mériter qu'on vienne le chercher. Il aime se cacher, ne vante pas ses attraits, ne communique pas à grand bruit. Il faut le découvrir dans les petites choses au détour d'un chemin. Subtil requiert recherche, il n'est pas apparence. Il loge dans le détail, au fond d'une pensée, ou niche dans un silence. Il sait l'humilité où réside la noblesse et d'ailleurs, il s'en fiche. Souvent heureux tout seul, la distance le protège d'un monde consensuel. Parfois paradoxal, oxymore est son double. Il a ouvert sa porte à la dualité, accueilli son bâtard, part d'ombre. Subtil est fugace, ombrageux, il peut sembler futile et pourrait vous choquer. C'est seulement qu'il se tient loin des facilités du jugement premier. Il ne sera jamais là où vous voulez l'attendre. Il ne se vend pas, il ne s'achète pas mais veut parfois s'offrir à qui sait le recevoir.

  • Le seum du blablabla

    À force d'upgrader... « Le trop et le trop peu gâtent la sauce » disait ma grand-mère. Soit disant… car j’ai du mal à imaginer cette femme réservée et élégante tenir ces propos. Mais bon ! Il me fallait une introduction et j’ai besoin d’une légende familiale. Cœur du pitch : blablabla, fond, forme et licence poétique pour remplissage superficiel. Une traduction vaut désormais une explication de texte. Vous avez remarqué comme les vocables anglais ont remplacé le français ? Ils semblent l’upgrader et ils font toujours leur petit effet. Nos dirigeants ont des task force et des think tank, il faut bien avouer que ça sonne plus sexy que groupes de travail, de réflexion ou... cénacle ! Héhéhé ! Ne les blacklistons pas car, du coup, ce serait un peu genre du shadow bashing. Quant à la langue de Molière, il lui reste «wesh wesh» pour se défendre (cheh !) Notre communication est livrée à deux tendances, deux strates sociales coexistent en une superposition qui ne se pose vraiment pas en sentinelle de notre verbe. La vieille garde, hébétée, ringardisée, rendue muette, compte les points ou les fautes ! En back office, sans rien spoiler, après un call (en live) avec mon fils, je ferai un débrief sur le sujet. J’update un peu là, car je suis overbookée, et revoyant mes deadline, ça ne pourra pas être avant semaine pro, max. Inch Allah ! J’espère faire le buzz en mode warrior ! Tout ça pour ne rien dire car, j'dis ça, j'dis rien ! Wallah !… ça m’afflige. Serait-ce le seum ?

  • L'ère du Carnavalozoïque

    Il y a eu le Précambrien, le Paléozoïque, le Mésozoïque et le Cénozoïque. Aurions-nous débuté l'ère du Carnavalozoïque anthropocène ? Cette fulgurante interrogation m'est venue après la lecture de cette réflexion de Tiziano Scarpa, auteur vénitien : ""Volto" (visage) en vénitien veut dire masque, comme "persona" en latin. Les études d'anthropologie sur le Carnaval t'expliquent qu'entre l'Épiphanie et le Carême, le monde se renverse. Si le fils manque de respect à son père, on change son sexe et il n'est plus interdit de railler le roi. Tout cela sert et confirme l'ordre universel. Transgresser la loi signifie la célébrer. La violer une seule fois, au cours d'une fête commandée, équivaut à reconnaître sa souveraineté sur tout le reste du temps." Tiziano Scarpa, Venise est un poisson

  • Dans la vie

    Un petit-fils nous est né, et pour le jeu des ressemblances avec son père, j’ai réussi à exhumer deux photos papier, captées au siècle dernier, floues, vieillottes, ratées. D’abord étonnée de trouver si peu de clichés de l’évènement, je réalise : nous n’étions alors pas équipés de smartphone et je n’avais pas d’appareil photo à portée de main. Le moment fut vécu sans penser à le partager, égoïstement peut-être. Aujourd’hui nous communiquons notre actualité avant même de la vivre, et tout à l’effet produit en fonction du destinataire, nous en diluons l’émotion. Nous nous sommes un temps moqué des chinois, prompts à dégainer leurs appareil et à prendre la pose, sans aucune pudeur. Je me demandais alors si cette habitude ne transformerait pas un peu leur ressenti. La réponse est : oui ! J’avais déjà pu voir plusieurs fois la silhouette de mon petit-fils dans le ventre de sa mère sur mon mobile multifonctions quand j’ai reçu l’appel en visio de mon fils pour me présenter le minuscule bonhomme dans les premières minutes de sa vie. S’en sont suivies d’innombrables vidéos et photos envoyées simultanément au cercle familial élargi, aux proches amis, aux communautés virtuelles, etc. La maternité n'autorise plus les visites, mais, de la bulle cocon ménagée pour le nouveau couple, un cordon virtuel nous a bel et bien reliés au berceau. Une semaine plus tard, des centaines de photos ont déjà été échangées. Trente-deux ans ont passé, je contemple, incrédule les changements. Que reste-t-il de la femme qui a donné naissance à ce nouveau papa, et comment expliquer ce que je ressens face à l’étrangeté de ce que je viens de réaliser. Cette révolution du smartphone a échappé, je crois, à ma génération. Ce bouleversement n’est pas seulement technologique, il façonne la vision du monde. Dans cinquante ans, mon petit-fils recevra sans doute la visite de l’hologramme du sien, au sortir de la couveuse qui aura remplacé l’utérus de sa mère.

  • Cette obscure clarté qui tombe des étoiles

    Je demande pardon à la vie si le doute m’éloigne du merveilleux et que mon enthousiasme ressemble à un soufflé refroidi. Je demande pardon à la vie d’oublier la rose jolie, le lilas blanc, et la douceur du premier rayon, posé sur mon visage. Je demande pardon à la vie si l’odeur du pain grillé ne me fait pas bondir hors du lit, avec un appétit d’ogresse. Je demande pardon à la vie si le moustachu de la Bialetti n'est plus invitation, à déguster, le meilleur café. Je demande pardon à la vie de me laisser charmer en discount par de sottes promesses de bonheur en boîte. Je dis merci à la vie, quand elle se rappelle à moi, en des riens délicieux, pour l’aimer encore. Je dis merci à la vie quand je me sens trahie, que son goût est amer, de l’aimer toujours. Je dis merci à la vie quand dans une heure ou demain, un ordinaire miracle reviendra me saisir pour en exalter la beauté lumineuse. (Je demande pardon à l’écriture, pour les anaphores légères et à Corneille pour l'emprunt de l’oxymore)

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