Un petit-fils nous est né, et pour le jeu des ressemblances avec son père, j’ai réussi à exhumer deux photos papier, captées au siècle dernier, floues, vieillottes, ratées.
D’abord étonnée de trouver si peu de clichés de l’évènement, je réalise : nous n’étions alors pas équipés de smartphone et je n’avais pas d’appareil photo à portée de main.
Le moment fut vécu sans penser à le partager, égoïstement peut-être.
Aujourd’hui nous communiquons notre actualité avant même de la vivre, et tout à l’effet produit en fonction du destinataire, nous en diluons l’émotion.
Nous nous sommes un temps moqué des chinois, prompts à dégainer leurs appareil et à prendre la pose, sans aucune pudeur. Je me demandais alors si cette habitude ne transformerait pas un peu leur ressenti. La réponse est : oui !
J’avais déjà pu voir plusieurs fois la silhouette de mon petit-fils dans le ventre de sa mère sur mon mobile multifonctions quand j’ai reçu l’appel en visio de mon fils pour me présenter le minuscule bonhomme dans les premières minutes de sa vie. S’en sont suivies d’innombrables vidéos et photos envoyées simultanément au cercle familial élargi, aux proches amis, aux communautés virtuelles, etc.
La maternité n'autorise plus les visites, mais, de la bulle cocon ménagée pour le nouveau couple, un cordon virtuel nous a bel et bien reliés au berceau.
Une semaine plus tard, des centaines de photos ont déjà été échangées.
Trente-deux ans ont passé, je contemple, incrédule les changements. Que reste-t-il de la femme qui a donné naissance à ce nouveau papa, et comment expliquer ce que je ressens face à l’étrangeté de ce que je viens de réaliser.
Cette révolution du smartphone a échappé, je crois, à ma génération. Ce bouleversement n’est pas seulement technologique, il façonne la vision du monde.
Dans cinquante ans, mon petit-fils recevra sans doute la visite de l’hologramme du sien, au sortir de la couveuse qui aura remplacé l’utérus de sa mère.