J’ai en tête ces vieillards au teint buriné assis sur des bancs face à la mer au milieu des filets de pêche, dans les pays du bord de Méditerranée.
Ils semblent attendre le retour de quelques fils ou frère parti en mer.
Si l’on y regarde mieux, ils ont entre les mains un chapelet qu’ils égrènent lentement et leurs lèvres bougent doucement au gré de leur prière.
Ils sont imperturbables.
Pourtant autour d’eux, la vie pulse, s’agite et grouille tandis que des bateaux déversent en troupeau leur cargaison de vacanciers dénudés, désœuvrés, désorientés, bruyants.
En un singulier miracle, tchotki ou misbaha, frères de foi, un grain à la fois, arrêtent la course de l’été tapageur pour l’alanguir, le remplir de pensées, minuscules, désuètes.
En catimini, les petites boules de bois tracent la route du dedans en éclairant le chemin jusqu’à la voie du cœur.
Il leur aura sans doute fallu bien de l’entraînement et des années pour atteindre ce retrait malgré des conditions aussi peu propices, quand nous peinons parfois à nous soustraire à notre rumeur interne, dans le luxe d’un confort silencieux !
Quand la vie s’étire, que les heures s’écoulent, une à une, d’un pas lent, au rythme d’un métronome interne, sans se laisser distraire, on peut s’enfoncer dans la forêt profonde du mystère de Soi.
Il faut le temps de la maturation pour que le chemin aboutisse, et du vide, pour que le révélateur agisse, pour que l’image puisse renvoyer l’âme nue.
C’est un exercice solitaire et exigeant qui demande une bonne préparation au vertige du choc :
Le miroir est sans complaisance.